Le cerveau des bébés prématurés se développe en musique
De la musique spécialement composée avec des chercheurs genevois pour les grands prématurés a permis au cerveau de ces bébés de mieux se développer, notamment en créant plus de connexions neuronales
Dans son lit, la petite Lucie est paisiblement endormie malgré les bruits ponctuels de la machine mesurant ses constantes vitales. Derrière les baies vitrées de sa chambre, on peut apercevoir une partie de l’Unité de néonatologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), un environnement où tout semble feutré, même les alarmes qui ne cessent de sonner. Née alors que sa maman était dans sa 24e semaine de grossesse, Lucie fait partie des 1% d’enfants qui, en Suisse, viennent au monde très prématurément.
«Harpe, clochettes et surtout punji, la flûte indienne des charmeurs de serpents, ont entraîné le plus de réactions chez les tout-petits».
Aujourd’hui âgé de 36 semaines d’âge gestationnel, le bébé participe à une recherche dont les premiers résultats ont été publiés lundi 27 mai dans la revue PNAS. L’objectif: examiner les effets de la musique sur les réseaux neuronaux des prématurés, dont le développement cérébral est considéré comme plus à risque.
Encore immature à la naissance, le cerveau des grands prématurés doit continuer à se développer aux soins intensifs, au sein d’un univers sensoriel perturbant: «Les déficits neuronaux de ces enfants sont en partie dus à cet environnement stressant, décrit Lara Lordier, docteure en neurosciences aux HUG et à l’Université de Genève et première auteure de l’étude. Les bébés sont souvent confrontés à des sollicitations inattendues et parfois sans lien avec des événements les concernant – comme l’alarme du voisin qui se met à sonner –, ce qui rend plus difficile le fait de leur attribuer un sens. D’un autre côté, ils peuvent également manquer de stimulations agréables et structurantes.» D’où l’idée de la musique.
Adapté à l’état émotionnel
A l’image d’une berceuse que l’on chanterait chaque soir à un nourrisson pour l’endormir, ou d’une comptine qui capterait son attention, les morceaux composés spécialement par le musicien zurichois Andreas Vollenweider ont pour objectif de rythmer la journée des bébés avec des stimuli adaptés à leur état émotionnel. Trois environnements sonores de huit minutes chacun ont ainsi été créés: l’un pour accompagner l’endormissement, un autre pour le réveil et un dernier pour interagir durant les phases d’éveil.
«Ces paysages musicaux ont été construits sur la base de centaines de sons permettant une relaxation profonde, nous explique le compositeur. Pour cela, j’ai utilisé des fréquences et des harmoniques spécifiques convenant à des enfants n’ayant aucune expérience musicale préalable. Différents artefacts acoustiques ont ensuite été ajoutés pour attirer l’attention des bébés et stimuler leur activité cérébrale, comme le son de la harpe, des clochettes et du punji (la flûte indienne des charmeurs de serpents), qui est l’instrument ayant engendré le plus de réactions chez les tout-petits lorsque nous avons fait des tests préalables.»
Meilleures connexions
Réalisée en double aveugle (ni les parents ni les chercheurs ne savaient quel bébé écoutait la musique) sur une quarantaine de prématurés répartis en deux groupes, l’étude montre des résultats surprenants: «Grâce à des examens réalisés par IRM fonctionnel au repos, nous avons pu observer que le développement du cerveau des bébés à qui l’on avait passé ces morceaux était davantage similaire à celui des enfants nés à terme, décrit la professeure Petra Hüppi, médecin-cheffe du Service de développement et croissance des HUG, qui a supervisé ces travaux. Les connexions entre le réseau de saillance et le cortex auditif, frontal et sensori-moteur, étaient beaucoup plus actives que chez les prématurés n’ayant pas écouté de musique.»
«Il est possible, grâce à la régulation exercée par la musique, de diminuer les effets délétères des facteurs environnementaux sur le développement fonctionnel du cerveau» Petra Hüppi, université de Genève.
Essentiel, le réseau dit «de saillance» permet de détecter les informations et d’en évaluer la pertinence à un moment précis, avant de faire le lien avec les autres réseaux cérébraux devant possiblement intervenir. Il joue également un rôle très important dans l’exécution des tâches cognitives ou les relations sociales. «Même si les résultats de nos travaux nécessitent encore d’être affinés, cela nous démontre qu’il est possible, grâce à la régulation exercée par la musique, de diminuer les effets délétères des facteurs environnementaux sur le développement fonctionnel du cerveau», ajoute Petra Hüppi.
Les scientifiques souhaitent désormais évaluer les effets sur le long terme de cette exposition précoce à la musique, en conduisant différents tests sur les premiers bébés ayant participé à l’étude et désormais âgés de 6 ans. Les effets de la musique sur la maturation cérébrale – qui semblent significatifs –, feront par ailleurs l’objet d’une prochaine publication. Quant à la petite Lucie, le bonnet doté d’écouteurs cousu à la main par les chercheurs attendra un peu, les bras de Morphée ayant toujours la priorité.
Auteur: Sylvie Logean
Repris de l’article “Le Temps” du 28 mai 2019